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Scientifiques : impliqués, engagés, militants !

Dernière mise à jour : 20 oct. 2022

Inaction climatique, perte de biodiversité, pollutions et destructions des écosystèmes sont autant de sujets qui impliquent directement les scientifiques du monde entier. Au travers de leurs travaux de recherche bien sûr mais de plus en plus au travers d’actions plus militantes.


Si la vulgarisation de leur travail est de plus en plus une démarche encouragée, elle doit - pour beaucoup - s’inscrire dans un cadre précis, celui de la neutralité. Comme un prérequis indiscutable lié à ce statut de sachant déconnecté des sphères politiques ou économiques. Pourtant cet activisme académique existe de longue date à l’instar de figures telles que le physicien Frédéric Joliot-Curie qui prônait l’interdiction de l’arme atomique ou plus récemment de la primatologue Jane Goodall pour protéger les habitats des grands singes.


Ce militantisme s’expose à un risque majeur, celui d’une perte de crédibilité scientifique. Il se fonde donc sur la production d’un savoir construit suivant des méthodes scientifiques rigoureuses. Ainsi le premier niveau de cet engagement a-t-il été depuis plusieurs décennies de collecter, synthétiser et vulgariser des travaux d’équipes transdisciplinaires pour arriver à un consensus scientifique. C’est l’objet même des rapports du GIEC. Une production intellectuelle qui vise à améliorer le bien commun, suffisamment robuste et étayée pour éclairer décideurs et citoyens. Un pacte de confiance permettant d’intégrer la connaissance à toute prise de décision et d’encourager une transformation positive et profonde de la Société [1]. Pourtant ce lien fondamental est aujourd’hui malmené par les médias et réseaux sociaux. La diffusion même des savoirs est questionnée et les intérêts court-termistes privilégiés.




Des mots aux actions


C’est dans ce contexte qu’en février 2020, mille scientifiques ont signé une tribune dans le Monde [2] pour appeler à la désobéissance civile et au développement d’alternatives. A la lumière de leurs travaux ils indiquaient déjà que l’humanité avait sous-estimé l’ampleur des changements - déjà enclenchés - tant sur le volet du climat que de la perte de biodiversité.


Il y a quelques mois, fin 2021 sortait sur Netflix le film Don’t Look Up, sous-titré le déni cosmique, qui présentait la difficulté que rencontrent deux scientifiques pour prévenir une catastrophe planétaire. Cette satire mettait en scène désinformation et déni inspirés par l’actuelle crise climatique. Une caricature qui a permis d’ouvrir le débat sur les comportements auxquels se heurtent les lanceurs d’alerte dans les domaines de l’écologie. La climatologue et membre du GIEC, Valérie Masson-Delmotte, évoquaient cette problématique dans un article publié en réaction : "La réalité, hélas, est parfois pire que la fiction : le film ne montre que partiellement le cynisme de ceux qui profitent du statu quo, ou le rôle des marchands de doute qui ont construit la désinformation et le greenwashing pour semer la confusion et sauvegarder leurs profits.” [3]

Des mouvements comme Scientists for future, ou plus récemment le collectif Scientist rebellion émergent de cette prise de conscience au sein de la communauté scientifique. Le 4 avril 2022, ce dernier publie un communiqué appelant à la plus grande campagne de désobéissance civile mondiale menée par des chercheurs. Une date coïncidant avec la publication de la troisième partie du rapport du GIEC. Les scientifiques se rassemblent sous le slogan “1,5ºC, c’est mort, la révolution climatique c’est pour maintenant !”. Ils lancent un appel à leurs collègues - toutes disciplines confondues - à rejoindre leurs actions. Dans leur communiqué, Rose Abramoff, climatologue aux États-Unis, déclare : “nous n’avons pas effectué les changements nécessaires pour limiter le réchauffement à 1,5ºC, ce qui nous empêche d’atteindre cet objectif à l’heure actuelle. Nous devons comprendre les conséquences de notre inaction et limiter autant que possible et le plus vite possible les émissions issues de combustibles fossiles. En tant que scientifiques, nous avons tendance à ne pas prendre des risques. Nous n’avons pas envie de risquer nos emplois, notre réputation, d’investir un temps précieux. Mais il ne suffit plus de poursuivre nos recherches et simplement attendre que d’autres lisent nos publications et comprennent la gravité et l’urgence de la crise climatique. Le 6 avril, avec des centaines de collègues du monde entier, j’agirai pour exhorter les gouvernements et la société à cesser d’ignorer les conclusions collectives de décennies de recherche. Faisons en sorte que cette crise ne puisse être passée sous silence.




En octobre 2022, c’est l’une des auteures du rapport du GIEC, l’économiste Julia Steinberger qui est arrêtée lors d’une action de désobéissance civile. Son père, Jack Steinberger, prix Nobel de physique en 1977, était à son époque engagé pour le désarmement nucléaire [4]. Sa participation à une action de blocage d’un axe routier pour réclamer la rénovation thermique des bâtiments est reprise dans plusieurs médias. Une mesure forte réclamée mais surtout urgente à prendre pour lutter contre les émissions de gaz à effets de serre. Dans une interview auprès de France Info elle répond à un questionnement sur son manque de neutralité. "J'ai des collègues économistes qui, un jour sur deux, disent qu'il faut plus de croissance et de productivité. Ces propos sont considérés comme étant neutres alors qu'ils sont d'un bord politique. La neutralité, c'est la protection du statu quo". Une démarche comme un nouveau cri d’alerte pour rappeler le compte à rebours et dénoncer cette inaction qui imprègne tous les niveaux de notre Société.




L'illusoire neutralité scientifique


Régulièrement avancée par les détracteurs des scientifiques engagés, la neutralité est pour beaucoup une illusion. Pour l'astrophysicien Jérôme Guilet "Etre neutre, c'est être dans le courant dominant et soutenir le statu quo actuel ". Et de rappeler qu’il est surtout essentiel de ne pas confondre la méthode scientifique, basée sur des données, une méthodologie transparente et une relecture par des pairs, avec cette prétendue neutralité. [5]


Une autre difficulté réside dans la temporalité. La recherche demande un temps de concertation relativement long qui contraste avec le sentiment d’urgence actuel. D’où la nécessité de rappeler qu’il n’est pas contradictoire de s'engager tout en faisant avancer la recherche. Et au passage d’accepter qu’au stade de nos connaissances, il est illusoire de croire en des solutions miracles mais davantage en des moyens d'atténuer les effets du changement climatique.


Enfin il est également nécessaire de resituer dans le contexte économique et politique actuel cet engagement. L’ampleur de cette mobilisation est à la fois une réaction à l’inaction des gouvernements successifs, mais aussi une nécessité face aux think tanks des énergies fossiles. Les actions de lobbying engagées depuis plusieurs décennies pour contrer les arguments des scientifiques et décrédibiliser la parole de celles et ceux qui s'engagent, ont fait perdre un temps précieux.


Comme le rappelle Valérie Masson-Delmotte devant le gouvernement : "La charge mentale de l'action pour le climat ne doit pas être du ressort des scientifiques, ou des plus jeunes, elle doit augmenter avec le niveau de responsabilités."


Que le discours soit porté par les scientifiques, les ONGs ou relayé par les médias, il est aujourd’hui de plus en plus audible, compris et soutenu. Un espoir qui ne doit pas faire oublier l’urgence. L’inertie actuelle a un impact réel. Et le décalage entre la perception du changement climatique ou de l’érosion de la biodiversité et la réalité dans nos vies amplifie le coût de cet immobilisme.




Retrouver du sens en accord avec le message scientifique


De plus en plus de scientifiques jugent anachroniques de poursuivre des recherches dont l’obsolescence s’accélère à mesure que les menaces sur notre planète se précisent… sans s’engager pour ce temps présent. Ils sont en première ligne pour décrypter ces mécanismes voire préconiser des actions permettant d’en limiter les effets… et se retrouvent impuissants au même titre que nombre de citoyens. C’est donc avant tout au titre de citoyen que leur engagement se concrétise bien souvent. Des prises de position qui entremêlent carrière professionnelle et convictions personnelles.


Mais que ce soit en tant que citoyen ou scientifique, être en mesure d’exprimer sa détresse pour la dépasser et la transformer en une énergie militante, est déjà une indication précieuse pour l’auditoire. Et dépasser l’écoanxiété générée par cette connaissance est le premier pas de cet activisme.


Pour autant, à l’instar de toutes celles et ceux qui décident de passer le pas, l’engagement peut revêtir plus d’une forme. Le point de départ étant souvent la prise de conscience que, malgré les alertes et le niveau de nos connaissances, les choses n'avancent pas. Que les décisions ne sont pas prises par les décideurs et politiques quand le temps pour atténuer l’impact de nos modes de vie s’effrite dangereusement.


Les pistes de mobilisation sont tantôt jugées trop extrêmes tantôt timorées suivant le degré de compréhension des enjeux à venir. Elles ont le mérite de clarifier l’engagement et de mettre ces citoyens-chercheurs dans le mouvement. Citons par exemple :

  • Sortir d’une posture dogmatique pour sensibiliser et inlassablement informer sur la réalité des enjeux environnementaux actuels,

  • Utiliser les réseaux sociaux pour fédérer des énergies et inciter à modifier ses comportements,

  • Se faire la voix du vivant, de la planète, en expliquant risques, enjeux et solutions d’atténuation,

  • Soutenir la société civile dans ses actions en lui conférant une crédibilité accentuée,

  • Incarner une nouvelle génération de scientifiques, en intégrant l’activisme dans ses travaux de recherche,

  • S’engager dans un collectif militant, une action de désobéissance civile ou une lutte locale,

  • Devenir un-e lanceur-se d’alerte en diffusant des données collectées ou synthétisées,

  • Occuper le terrain médiatique voire politique en dénonçant les pratiques délétères,

  • Réorienter ses recherches, sa carrière pour s’engager en faveur de la planète et du vivant.


Un engagement d’autant plus nécessaire qu’il constitue un signal fort de conserver l’espoir en l’avenir.


A l’instar de l'écologue Wolfgang Cramer, qui a participé, depuis 1996, à la rédaction de sept rapports du Giec et signataire du manifeste de Scientist rebellion [6], qui indiquait à un journaliste de France Info : "Ecrire des rapports, parler raisonnablement et gentiment, ça montre ses limites. Ce modèle qui consiste à fournir de l'information pour des décisions raisonnées marche un peu, mais pas assez".


Dans un article publié par le média Vert [7], le biochimiste Jérôme Santolini considère que « les discours d’autorité ne fonctionnent plus » et que le changement passera par les alliances entre chercheur·ses et mouvement social. De la même manière, dans son dernier rapport, le Giec constate que les " actions collectives soutiennent les changements systémiques". Si les démarches de collectifs de citoyens sont encore négligées malgré leur ampleur et récurrence, le renforcement et la diversité des soutiens est un appui essentiel pour accélérer l’action. Le niveau de confiance accordé aux scientifiques permettant de dépasser les clivages partisans ou générationnels. Ainsi pour Elodie Vercken [5], directrice de recherche à l'Inrae, cette implication des scientifiques permet de balayer "les préjugés envers les personnes qui s'engagent" (…) "C'est plus difficile de traiter de hippies ou de zadistes des personnes installées à des postes de respectabilité".



Pour aller plus loin :


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